mercredi 10 février 2010

Livre numérique : éditeurs et libraires se battent pour tenter de sauver leur place

Le numérique, le monde du livre a préféré longtemps l'ignorer. Peu touchés par le développement d'Internet, éditeurs et libraires ne voyaient pas l'intérêt d'entrer rapidement sur un support qui a tant fait souffrir la filière du disque et dont le modèle économique est encore incertain. D'autant plus que les premiers lecteurs numériques ont été un échec, avec seulement quelques milliers d'exemplaires vendus.
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Un marché français encore très confidentiel

Actuellement, 40 000 à 50 000 livres en français sont disponibles au format numérique. Il s'agit pour une grande partie d'œuvres libres de droits, donc gratuites. Eden-livres, la plate-forme de Gallimard, Flammarion et La Martinière, compte seulement quelques milliers d'ouvrages. "Pour l'instant, les ventes sont très limitées", confirme-t-on chez ces éditeurs. De son côté, Numilog affirme disposer de plus de 50 000 ouvrages. Mais le site est encore loin d'avoir atteint la rentabilité.

La lenteur du développement de ce marché est également due aux prix encore très élevés des lecteurs numériques, entre 200 et 400 euros selon les modèles.
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Mais il aura suffi que quelques grandes marques annoncent le lancement de leurs livres électroniques pour tout changer. Amazon et son Kindle, Sony et son E-Reader et bientôt Apple et son iPad affirment présenter une rupture technologique assez puissante pour convaincre les consommateurs de délaisser le papier pour l'écran.

Premier vendeur sur le marché américain, Amazon assure ainsi que son Kindle est un succès, tout en refusant de communiquer le nombre exact de modèles vendus. En France, le Kindle est censé être disponible depuis octobre. A condition de l'acheter sur le site américain d'Amazon pour ensuite se le faire expédier. Il faudra accepter de payer des droits de douane et de s'équiper d'un adaptateur électrique pour les prises européennes. Obstacle supplémentaire, l'heureux acquéreur d'un Kindle ne pourra lire aucun livre récent en français.

Les maisons d'édition ont en effet toutes décidé de boycotter la plate-forme américaine. "Les conditions tarifaires qu'impose Amazon aux éditeurs sont inacceptables, nous ne voulons pas la même chose en France", explique Patrick Gambache, directeur du développement numérique chez Flammarion.

Autre inquiétude : les éditeurs veulent pouvoir éviter le piratage en introduisant des logiciels anti-copie sur leurs fichiers numériques Pour cela, il faut à leurs yeux que les livres restent hébergés sur des plates-formes sur lesquelles ils ont le contrôle. Mais toutes ces barricades sont de plus en plus fragiles.

Lentement, les maisons d'édition prennent conscience que le meilleur moyen pour barrer la route aux géants Amazon ou Apple est de proposer une offre au moins aussi attractive. Depuis quelques mois, déclarations d'intention, pressions auprès des pouvoirs publics et déjeuners entre directeurs de maisons d'édition se multiplient. Avec un objectif : s'assurer une place sur le marché du numérique.

LES LIBRAIRES S'ORGANISENT

Les libraires le savent : le livre numérique a de fortes chances de leur passer sous le nez. Pour Guillaume Husson, le délégué général du Syndicat de la librairie française, cela ne fait aucun doute : "Amazon fait tout pour casser la chaîne de valeur du livre, et veut nous empêcher de garder sur le marché numérique la place que nous avons sur le marché physique. La seule solution, c'est de nous organiser avant qu'il soit trop tard", explique-t-il. Dès septembre, les libraires lanceront donc une plate-forme de vente commune.

Trente-cinq librairies ont accepté de mettre entre 1,5 et 2 millions d'euros sur la table pour en financer le développement. Chaque librairie, y compris les plus petites, devrait ensuite pouvoir connecter son site à cette plate-forme pour vendre des livres numériques sous sa propre marque. L'espoir de Guillaume Husson, c'est que les lecteurs préfèrent ensuite acheter sur le site de la librairie d'à côté de chez eux plutôt que chez Amazon ou Apple.

Les libraires français comptent sur une autre arme : le prix unique. Pour l'instant, ce dispositif ne s'applique qu'aux livres papier. Mais à force de pressions, les acteurs du livre ont convaincu le gouvernement d'étendre cette disposition au numérique. Nicolas Sarkozy leur a d'ailleurs promis une telle loi dès cette année. Cette extension est également largement soutenue par les éditeurs, qui ne veulent pas voir Amazon brader leurs œuvres comme aux Etats-Unis.

Mais ce front commun du monde du livre durera-t-il longtempts ? Que se passera-t-il si demain les éditeurs décident de se passer des libraires pour vendre directement leurs ouvrages numériques ? Pour l'instant, toutes les maisons d'édition assurent qu'il n'en est pas question. La plate-forme d'Editis et Eden-livres du regroupement Gallimard, Flammarion et La Martinière ne sont accessibles qu'aux libraires et distributeurs. Pour acquérir un ouvrage, les clients sont donc contraints de passer par eux. Mais un autre éditeur, Hachette, a déjà décidé de s'affranchir de ce modèle fermé sur sa plate-forme Numilog.

LES ÉDITEURS VEULENT UN "HUB"

Une faille qui irrite les libraires. "Je comprends qu'Hachette vende directement des livres éducatifs numériques sans passer par les libraires, comme cela se passe déjà pour le marché papier, mais vendre aussi de la littérature est plus problématique", s'inquiète Guillaume Husson, tout en avouant ne pas avoir les moyens d'empêcher l'éditeur de le faire. "Numilog a vocation à fermer son accès au grand public", assure de son côté Christine de Mazières, déléguée générale du Syndicat national des éditeurs. Ce que rejette Hachette : "Nous avons besoin des libraires, mais nous avons aussi besoin de garder Numilog ouvert au grand public pour apprendre comment fonctionne ce nouveau marché", défend Myriam Simmoneaux, directrice adjointe de la communication de l'éditeur. Cette plate-forme fonctionnait sur ce modèle dès sa création, bien avant d'être rachetée en 2008 par Hachette, ajoute-t-elle.

Autre point au cœur de négociations : la création d'une interface commune à tous les éditeurs. L'objectif est que tous les revendeurs – libraires, Amazon, Apple, etc. – puissent connecter leurs serveurs à ce "hub" sans se soucier des différences techniques entre plates-formes. Si la nécessité d'une telle interface est acceptée par tous, la question de son contrôle fait actuellement l'objet d'intenses discussions. Les éditeurs français n'ont pas l'habitude de jouer commun.

LES ÉDITEURS PEUVENT-ILS SE PASSER DES LIBRAIRES ?

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