samedi 3 avril 2010

Procès en appel de l'"Erika" : "une avancée théorique majeure"


"Une première dans le droit français." Maître Jean-Pierre Mignard, avocat de huit collectivités, dont les régions Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes, dans le procès de l'Erika, s'est félicité du jugement rendu mardi 30 mars au matin par la cour d'appel de Paris qui confirme, et étend à de nouvelles parties civiles, la reconnaissance du préjudice écologique.

La cour d'appel a confirmé la responsabilité pénale de Total dans le procès du pétrolier, en décembre 1999, au large du Finistère. Elle a rejeté les arguments du groupe français, qui estimait que son statut d'affréteur écartait toute responsabilité. La cour a en outre confirmé et augmenté les peines d'amende prononcées en première instance à l'encontre de Total, de la société de classification Rina, de l'armateur Giuseppe Savarese et du gestionnaire Antonio Pollara.

"Nous venons de remporter deux victoires essentielles", a déclaré maître Jean-Pierre Mignard lors d'un point presse en fin de matinée. "La première est la reconnaissance de la responsabilité pénale de l'ensemble des acteurs impliqués dans le naufrage, qu'ils soient propriétaire du bateau, de la cargaison, armateur ou société de classification, s'est-il félicité. La deuxième est la reconnaissance du préjudice écologique sur une interprétation qui reprend celle que nous avions formulée : l'interaction entre la vie humaine et l'état de la nature justifie l'allocation de dommages et intérêts extrêmement importants", a-t-il ajouté. Il s'agit selon lui d'"une avancée théorique majeure".

"FAUTE PAR IMPRUDENCE"

Interrogé sur la paiement des amendes, l'avocat a rappelé que la cour avait opéré à ce titre une distinction entre le propriétaire du navire et la société de classification d'une part, condamnés à payer les dommages et intérêts de tous les préjudices, et Total d'autre part. Considéré comme affréteur, Total comparaissait sous l'empire de la convention CLC (International Convention on Civil Liability for Oil Pollution Damage), qui prévoit une indemnisation via le fonds dédié Fipol (Fonds international d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures).

"Seule la faute par imprudence a été retenue contre Total, il aurait fallu que le pétrolier soit condamné pour 'faute téméraire' pour sortir du régime de la convention CLC et être soumis au paiement de dommages et intérêts", regrette-t-il. "La distinction entre les deux types de faute est très ténue, et lors du pourvoi en cassation, le débat portera sur ce point", ajoute-t-il. Selon l'avocat, Total a effectivement eu une attitude téméraire notamment en encourageant le navire à continuer sa route malgré le mauvais temps.

"L'ÉTAT AURAIT DÛ ÊTRE À NOS CÔTÉS"

Autre particularité du jugement, la reconnaissance de la compétence des collectivités territoriales pour invoquer le préjudice écologique. "C'est grâce à nous que le préjudice écologique est reconnu aujourd'hui, pour la première fois en France, alors que l'Etat aurait dû être à nos côtés pour défendre l'intégrité du territoire national", a déclaré Jacques Auxiette, président PS de la région Pays de la Loire. "La cour dit clairement que les régions sont en situation de pouvoir porter le préjudice écologique devant la justice, c'est une grande nouveauté", a ajouté Jean-Yves Le Drian, président socialiste de la région Bretagne.

Une compétence précieuse pour toutes les collectivités situées sur le littoral : "Désormais, à chaque fois qu'un bateau dégazera sauvagement au large de nos côtes, nous pourrons demander réparation du préjudice écologique, en plus du préjudice d'image et matériel", a-t-il souligné. Satisfaction partagée par maître Dumont, avocat des parties civiles, qui voit en ce jugement "une reconnaissance de toute la palette des collectivités territoriales".

Jean-Pierre Mignard a par ailleurs rappelé que le procès du naufrage du Prestige allait bientôt s'ouvrir devant le tribunal de La Corogne en Espagne et que les parties civiles avaient la possibilité de faire valoir l'arrêt de la cour d'appel de Paris pour demander le préjudice écologique. "Et ceci est valable pour tous les pays signataires de la convention CLC", a-t-il conclu.

Les deux parties ont d'ores et déjà annoncé leur pourvoi en cassation. Maître Pierre-Olivier Sur, avocat de l'armateur Giuseppe Savarese, a dénoncé ce matin "une décision techniquement (...) assez fragile et qui apparaît juridiquement extrêmement contestable".

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