samedi 3 avril 2010

"On ne pouvait refuser de participer au Grenelle de l'environnement"


Antinucléaire : France nature environnement (FNE) et les autres écologistes "officiels" (sélectionnés par l'Elysée) ont accepté de participer au Grenelle malgré l'interdiction de remettre en cause le nucléaire et le report de la taxe carbone : ne payez-vous pas votre soumission à Nicolas Sarkozy ?

Bruno Genty : Sur le nucléaire, notre position n'est pas la même que celle du gouvernement. Mais ce n'est pas pour autant qu'on devait refuser de participer au Grenelle de l'environnement pour avancer sur d'autres thématiques environnementales. Si nous avions refusé de participer au Grenelle du fait que le nucléaire n'était pas abordé, c'est un peu comme si un syndicat ouvrier refusait de participer à une négociation sur les retraites sous prétexte que le gouvernement en place ne correspond pas à son projet de société. Pour FNE, le nucléaire est une énergie fossile et il faut envisager aussi la fin de la ressource.

Par ailleurs, nous n'avons pas été "sélectionnés", nous représentons un mouvement démocratique qui est composé de plusieurs milliers d'associations de terrain, et nous sommes reconnus d'utilité publique depuis quarante ans. Et en quarante ans, il y a eu différents types de gouvernement.

William : Qu'en est-il de l'obligation pour les grosses entreprises et les collectivités de faire un diagnostic de leurs émissions de gaz à effet de serre tous les cinq ans à partir de 2011 ?

Bruno Genty : C'est ce qui a été décidé, et ce que nous défendons dans le projet de loi Grenelle : FNE demande la généralisation des diagnostics de gaz à effet de serre. Cela veut dire implanter des dispositifs de réduction de nos émissions, fondés en premier lieu sur une diminution de la consommation d'énergie et en second lieu sur l'amélioration de la performance énergétique.

C'est un exemple de mesure concrète importante, pour que l'on cesse d'émettre des grandes idées, d'écrire de jolis textes de loi qui ne sont pas toujours appliqués et il s'agit effectivement d'entrer dans le concret. Ce type d'obligation met bien en évidence la responsabilité de tous sur ces questions environnementales et ici sur la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et sur la diminution de la consommation d'énergie. Il faut connaître et bien connaître avant de vouloir combattre.

Ela : 20 % des Français sont prêts à modifier leurs habitudes de façon importante et ont compris les enjeux écologiques actuels. Il reste 80 % de personnes à convaincre alors que le temps nous est compté. Comment faire pour réveiller les consciences ?

Bruno Genty : C'est pour cela que nous sommes là, nous jouons un rôle de donneur d'alerte, de force de proposition. L'idée est vraiment de concentrer les efforts sur ces 80 % pour leur montrer que d'autres modes de production et de consommation peuvent apporter des bénéfices pour l'environnement, et aussi en termes sociaux et en termes économiques.

Par exemple, si je propose à la fois une démarche globale sur l'offre de transports en commun et qu'en même temps j'incite les habitants à se passer de leur voiture, je les libère alors même qu'ils avaient l'impression, jusqu'alors, que c'était leur voiture qui les libérait. Nous devons démontrer au 80 % de la population restant à convaincre que l'environnement et sa prise en compte n'est pas une punition, mais une opportunité fantastique de vivre autrement et mieux.

Autre exemple : si en tant que citoyen je fais l'effort de choisir des produits alimentaires locaux, cela ne me coûte pas forcément plus cher et je peux avoir par moi-même une traçabilité de ces produits, parce que ce sont par exemple des légumes produits près de chez moi. Il y a aussi une forme de solidarité territoriale – des emplois dans mon secteur – et c'est aussi un moyen de réduire les transports, donc la pollution, la consommation énergétique, l'effet de serre. Aujourd'hui, si je consomme en hiver des produits venus de l'hémisphère Sud qui ne coûteront pas cher parce que les travailleurs sont payés au lance-pierre, l'impact social et environnemental de ma consommation est complètement masqué.

Fd : Comment jugez-vous la qualité de la traduction des objectifs généraux du Grenelle dans le texte de loi "Grenelle 2 " ?

Bruno Genty : En premier lieu, c'est un exercice très difficile de rendre compte de plusieurs centaines d'engagements, de niveau inégal en termes d'action publique. On va du petit point de détail jusqu'aux grandes orientations de politique générale. Les enjeux du projet de loi Grenelle 2 sont les mêmes enjeux que ceux que rencontre un architecte entre le moment où il a décidé de la forme de la maison et le moment où il doit se doter de la boîte à outils et des matériaux pour construire la maison.

Le projet de loi Grenelle 2 va nous donner les moyens de rendre réels, d'inscrire dans les territoires les principes actés dans le Grenelle 1, qui n'ont pas encore connu de traduction. Concrètement, cela veut dire par exemple, dans le domaine de l'agriculture, voir émerger une agriculture à haute valeur environnementale, soutenue par un dispositif incitatif. Dans le domaine de l'énergie, il y a l'obligation de construire des bâtiments ne consommant pas plus de 50 kw/h par mètre carré et par an, alors que les bâtiments actuels ont en moyenne une consommation de 240 kw/h par mètre carré par an, ce qui revient à diviser par cinq les charges reposant sur les occupants.

Thibault : Je travaille dans le secteur du logement et de l'habitat. Dans l'ensemble les bailleurs sociaux, les services de l'Etat et les collectivités sont assez désemparés par le Grenelle I dans la mesure où celui-ci manque d'outils opérationnels pour son application. Comment légitimer une action alors que celle-ci ne possède pas les outils nécessaires ?

Bruno Genty : Le plan bâtiment, qui n'est pas une application directe du Grenelle de l'environnement, prend en compte les objectifs du Grenelle et dote les collectivités territoriales bailleurs d'un outil nouveau permettant d'engager des travaux de réhabilitation thermique et énergétique des logements. Se saisissant de cette opportunité, la Ville de Paris a d'ailleurs engagé un programme portant sur 25 000 logements sociaux et très sociaux. Programme dont l'effet sera à la fois une meilleure préservation de l'environnement et une lutte contre la précarité énergétique des plus démunis.

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