samedi 13 mars 2010

Régionales : pourquoi ils n'iront pas voter

Même le mot est une réprobation. Abstention… Dans nos démocraties, il charrie dans son sillage des notions infamantes. Il est synonyme d'incivisme, d'indifférence, d'indécision, voire d'indigence intellectuelle. Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Lyon et spécialiste du langage politique au laboratoire Triangle, rattaché au CNRS, Denis Barbet a longuement étudié les connotations péjoratives qui accompagnent l'usage de ce terme (dans la revue Mots. Les langages du politique, numéro 83, mars 2007).

Elles sont pléthore, ces dépréciations: " lassitude ", " désertion ", " désaffection ", " désintérêt ", " bouderie ", " maux ", " crise ", " lâcheté ", entre autres. A contrario, note le chercheur, la participation est liée à des valeurs positives, quasi patriotiques: " sursaut citoyen ", " élan républicain ", " mobilisation démocratique ", etc. Un électeur " retrouve le chemin des urnes " comme un paralytique ses jambes, un croyant la foi. Une belle leçon d'instruction civique!

Et pourtant, les récents sondages sont formels: devoir ou pas devoir, près d'un Français sur deux a déjà annoncé qu'il ne voterait pas lors des élections régionales, les 14 et 21 mars. A l'exception de la présidentielle de 2007, cette abstention croît dans tous les types de scrutin. Les objurgations citoyennes ou les tentatives de culpabilisation n'y peuvent rien: 35 % des électeurs ne viennent plus choisir leurs conseillers municipaux, 40 % leur député national, 45 % leur conseiller général, 60 % leur député européen. Encore ces abstentionnistes ont-ils daigné s'inscrire sur les listes. Quelque 8 % des citoyens majeurs n'ont même pas pris la peine de demander leur carte en mairie.

Le parti des pêcheurs à la ligne, expression attribuée tantôt à Octave Mirbeau, tantôt au Canard enchaîné, ne cesse donc d'enfler comme rivière en crue. Au point d'intéresser, au-delà d'une simple condamnation. " L'abstention est aujourd'hui moins stigmatisée qu'autrefois ", constate Denis Barbet. Les experts du corps électoral s'intéressent à cette cohorte mystérieuse, établissent des classifications, des genres. Les abstentionnistes deviennent une variable majeure, comme on l'a vu le 21 avril 2002, quand près d'un électeur sur trois ne s'était pas déplacé au premier tour de l'élection présidentielle. Ira, ira pas? Les candidats aux élections régionales sont à leur tour inquiets d'une faible participation qui pourrait bouleverser la donne.

Le Monde Magazine est donc allé à la rencontre de ces abstentionnistes, à Auxerre et dans ses environs. Chef-lieu de l'Yonne, cette ville de 40000 habitants vote peu ou prou comme la France. Elle subit de plein fouet la crise économique. Une ville somme toute ordinaire, gagnée par la désillusion du politique. Comme partout, le taux d'abstention y progresse inexorablement. En 2009, lors d'une élection cantonale partielle impliquant un quartier populaire de la ville, moins d'un électeur sur cinq s'était déplacé. Et quand en février François Patriat, président (PS) du conseil régional, est venu tenir meeting à Auxerre, la salle Vaulabelle sonnait bien creux, avec à peine cinquante personnes.

Le maire (PS), Guy Férez, ne peut que constater l'apathie de ses administrés. Il sait " la déception de gens à qui on a trop promis ", connaît l'anathème " Tous pareils! ". " La crise de la représentation politique, syndicale et religieuse est une tendance lourde ", analyse-t-il. Elu de gauche dans une ville de droite, il constate, jour après jour, la " faillite des idéologies ", la détermination des opinions " sur de l'émotion, sur un point de vue particulier, sur l'irrationalité parfois ". En même temps, le maire estime que " l'abstention est plus complexe dans son analyse qu'un simple rejet ". Et c'est exactement ce que disent les abstentionnistes que nous avons rencontrés

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