lundi 8 mars 2010

Où va l'argent des conseils régionaux ?


La campagne pour le scrutin des 14 et 21 mars est une nouvelle illustration du paradoxe régional. Dans l'organisation du territoire, les régions sont "perçues comme un échelon administratif d'avenir par l'Etat et les instances européennes", ainsi que l'a reconnu la commission chargée de préparer la réforme des collectivités locales, présidée par l'ancien premier ministre Edouard Balladur, dans son rapport de mars 2009.

L'opinion publique, quant à elle, peine à identifier le rôle, le fonctionnement et le poids réel de ces assemblées, dont les compétences et le mode d'élection n'ont cessé d'évoluer depuis la création des établissements publics régionaux en 1972, devenus des collectivités à part entière, élues au suffrage universel par les lois de décentralisation de 1982.

Face à l'Etat, qui tend à réaffirmer ses prérogatives, les vingt-deux collectivités métropolitaines ainsi que les quatre d'outre-mer revendiquent une responsabilité pleine et entière de leurs attributions sur la formation, l'emploi, le développement économique, comme sur les projets majeurs d'aménagement, d'infrastructures et de transports. Mais leur poids budgétaire et financier reste faible au regard de leurs ambitions.

Sur les 206,3 milliards d'euros dépensés par les collectivités territoriales en 2009, elles totalisent 26,6 milliards d'euros, soit à peine 13 %, alors que les départements atteignent 31,5 %, et les communes ainsi que leurs groupements plus de 55,5 %. Comparée à l'ensemble des dépenses publiques, incluant l'Etat, la part régionale n'est plus que de 2,5 %.

La réforme de la taxe professionnelle ne devrait guère modifier cette proportion. Dans la compétition européenne, les régions françaises restent à la traîne face aux structures des pays voisins - Allemagne, Italie ou Espagne - plus décentralisées.

Comme le souligne Alain Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF) et président (PS) sortant de la région Aquitaine, "la Navarre, le Pays basque ou l'Aragon possèdent des budgets d'un montant six à douze fois supérieur à ceux de l'Aquitaine ou de Midi-Pyrénées", pourtant géographiquement et démographiquement plus importantes.

L'acte II de la décentralisation, avec la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 et la loi du 13 août 2004 du gouvernement Raffarin, avait laissé augurer un renforcement de la réalité régionale.

Cette évolution risque d'être remise en question par le projet de réforme des collectivités territoriales voulue par Nicolas Sarkozy et actuellement débattu au Parlement. Pour le chef de l'Etat, cette réforme est d'abord un exercice de simplification du "mille-feuille" territorial qui préfigure une nouvelle répartition des compétences. Pour ses opposants, essentiellement parmi les présidents sortants, c'est l'entité régionale qui est ainsi menacée avec le retour d'un Etat centralisé. En prévision de l'application de la réforme en 2014, le mandat des nouveaux élus a été réduit de six à quatre ans, au moment où les régions doivent s'engager dans des politiques structurelles de sortie de crise. Les régions portent-elles pour autant une part de responsabilité dans la dégradation des comptes publics ?

En l'espace de dix ans, entre 1999 et 2009, le montant global de leurs budgets a plus que doublé - de 12,34 milliards d'euros à 26,6 milliards d'euros -, au même rythme que leurs recettes fiscales. Entre 2004 et 2009, les effectifs ont augmenté de 57 000 agents. Mis en cause par l'UMP dans un Livre noir pour la dérive de leurs dépenses, les vingt présidents socialistes (sur vingt-deux entités métropolitaines) se défendent de tout excès. Le transfert des compétences instauré par la loi de 2003 a considérablement modifié la structure et les modalités d'action des conseils régionaux qui ont intégré de nouvelles responsabilités de gestion et d'administration de personnels.

Avec le transfert des agents de l'administration des lycées et établissements professionnels, soit un peu plus de 50 000 techniciens, ouvriers et personnels de service (TOS), l'éducation est devenue le principal poste de dépenses des régions - de l'ordre de 11,2 milliards d'euros -, en incluant la formation professionnelle. Mais dans ce secteur, leur responsabilité de décision dépend aussi largement de l'Etat et des partenaires sociaux.

Depuis que l'Etat leur a, par ailleurs, confié l'organisation des réseaux de transports régionaux, les régions ont massivement investi - plus de 2,6 milliards d'euros - dans le renouvellement des matériels ferroviaires. Même si cet effort a été inégalement réparti, la modernisation des moyens de transport reste une préoccupation majeure pour les usagers.

En première ligne pour tenter d'amortir les conséquences de la crise, les collectivités régionales ont multiplié les mesures en faveur de l'emploi et du développement économique, dont le montant - 1,2 milliard d'euros - reste limité et encadré. Certaines pour créer des fonds d'investissement, voire pour fournir des aides directes à des entreprises en difficulté. D'autres pour financer des actions de recherche et d'innovation technologique.

Prévue dans la future loi, la remise en cause de la "clause générale de compétences" et des champs d'intervention devrait sans doute limiter la multiplicité et le saupoudrage des crédits en faveur des associations ou de la culture.

Pour le gouvernement, les régions dépensent et embauchent trop. Mais l'Etat ne cesse de les solliciter pour accompagner ses politiques d'aménagement du territoire. L'accélération du plan de lignes à grande vitesse (LGV), à l'échéance de 2020, est un des exemples les plus significatifs de cette politique contractuelle du cofinancement des projets structurants. Expérimentée avec le plan Université 2000, au début des années 1990, pour accompagner la démocratisation de l'enseignement supérieur, cette pratique a été reconduite par le gouvernement pour les plans de recherche et d'enseignement supérieur, comme pour les pôles de compétitivité. Les mêmes sollicitations ont été relevées à propos de la réforme de la carte judiciaire, militaire et hospitalière. Dernier exemple en date, les investissements du plan de relance ont accéléré des projets inspirés des collectivités.

Alors que l'Etat est financièrement exsangue, la tentation du recours aux collectivités risque-t-elle d'accentuer le fossé et les inégalités existantes entre les régions riches et les plus pauvres ? Selon l'économiste Nicolas Bouzou, qui dirige la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), un centre de réflexion d'inspiration libérale, l'écart type des produits intérieurs bruts (PIB) régionaux "a augmenté de 25 % depuis 2000". Dans une note récente, il préconise de "renforcer le rôle économique des régions" qui "constituent la bonne échelle géographique pour mener une politique économique de l'offre destinée à rendre les entreprises plus compétitives", notamment par des mesures "microéconomiques plus faciles à prendre à l'échelon local".

Sans pour autant s'engager dans la polémique à propos de la réforme en cours des collectivités, la fondation relève néanmoins que "si l'Etat mettait fin au mouvement de décentralisation opéré depuis les années 1980, voire tentait une recentralisation, il deviendrait moins efficace que les Etats relativement plus décentralisés comme le sont la majeure partie des pays européens". Une reconnaissance qui vaut aussi avertissement.

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